Se faire de nouvelles promesses
Je relis avec émotion le petit catalogue de bonnes résolutions que Jean-Luc Lagarce dresse en 1991 à la veille de la réouverture annuelle du théâtre Le Granit à Belfort. Vingt ans après, j’y trouve encore les mots qu’il faut se dire – se redire – de temps à autre et notamment quand il s’agit de construire l’imaginaire de la saison à venir ou lorsqu’on s’apprête à mettre un nouveau projet artistique sur le chantier du théâtre, ou bien dans l’exercice quotidien de la direction d’une maison qui doit rester, dans un contexte de plus en plus chaotique, fidèle à ses ambitions, aux raisons d’être du théâtre dans la cité.
Chacun d’entre nous, spectateurs, artistes, artisans de la scène et d’autour, peut aller chercher dans sa vie intime, personnelle et professionnelle, des raisons de se réciter à voix basse, le sourire aux lèvres et vaguement sceptique sur sa chance d’honorer toutes les promesses du catalogue, quelques-unes de ces maximes du bon vouloir, écrites avec humour et élégance par un de nos plus précieux poètes du théâtre contemporain, je lui cède amicalement la parole : « Se faire de nouvelles promesses. Se promettre de ne plus recommencer. Aller son chemin. Ne pas écouter les conseillers attentifs pleins de sollicitude.
Se méfier de toutes les certitudes. Continuer à avoir peur, être inquiet, ne jamais être sûr de rien. S’inquiéter du respect et se garder de la fausse insolence. Haïr la parodie. Se souvenir.
Ne jamais oublier de tricher. Dire la vérité et ne plus s’en vanter. Abandonner les voies rapides et suivre les traces incertaines. Parfois aussi, de temps à autre, s’arrêter, ne plus rien faire et ne pas affirmer que ce fut pour réfléchir. Prendre son temps. Ricaner dans les moments inopportuns. Sourire avec douceur. Ne pas être, jamais, efficace, renoncer. Lutter contre les médiocres. Résister. Éviter toujours ces mots-là, ces choses qu’on ne comprend jamais, “le consensus”, “la conjoncture”, “les synergies”, on a beau avoir fait des études, ces mots-là, on ne les comprend pas, alors on les laisse. Ne pas craindre l’affrontement.
Ne pas craindre même, admettons, de provoquer l’affrontement. Chercher la bagarre, oui, “des fois”, et même juste pour rire. S’en moquer. Garder en réserve, toujours au milieu des défaites, la légère et nécessaire ironie de la victoire. Inversement aussi, j’allais le dire1. »
Didier Bezace
1 Jean-Luc Lagarce, “Se faire de nouvelles promesses”, in Du luxe et de l’impuissance, © Les Solitaires Intempestifs, 1997.